Qui a inventé l’auto-partage ?

La question peut paraître banale, mais comme pour beaucoup de questions simples la réponse l’est moins. De fait, l’idée a été avancée dans de nombreux pays et, contrairement à ce que l’on croit souvent, les services qui existent aujourd’hui ne sont pas issus d’une génération spontanée : ils sont plutôt le fruit d’une longue et difficile évolution. D’ailleurs, ce qui surprend le plus, dans l’histoire de l’auto partage, c’est de constater combien cette formule de transport, qui paraissait si simple d’application a priori, a généré d’échecs avant de devenir réellement opérationnelle.

La plus ancienne organisation de partage de véhicule retracée dans la littérature, SEFAGE (Selbstfahrergenossenshaft, cette expression pourrait être traduite par « club de conducteurs »), a été fondée à Zurich, en Suisse, en 1948 (Handbuch für AutoTeiler, 1992). Il s’agissait, essentiellement, d’un club où les membres s’étaient cotisés pour acquérir une automobile (un bien de luxe, à l’époque). Comme l’objectif des usagers de l’organisation se limitait à « s’offrir un service à eux-mêmes » plutôt que de se lancer dans une aventure commerciale, SEFAGE n’a jamais compté plus que quelques usagers. Ses initiateurs n’étaient pas conscients, du reste, du caractère novateur de ce qu’ils avaient réalisé. L’expérience fut donc sans lendemain.

Il faudra attendre un peu plus de vingt ans, ensuite, avant que l’auto-partage fasse l’objet d’une nouvelle expérience. Mais avant d’analyser plus avant les expériences-pilotes qui ont été réalisées à partir de 1970, il importe de résumer les diverses propositions mises de l’avant entre 1950 et 1970. Celles-ci sont le fruit des réflexions des premiers intervenants, dans le domaine du transport, à s’être penchés sur le potentiel de la formule en tant que moyen pour contrer l’explosion du parc automobile et ses effets pervers sur l’efficacité et l’achalandage des autres modes. Ce sont ces travaux qui ont fourni au concept ses assises théoriques et mis en relief les nombreux bénéfices qui pourraient découler de son application.

Proposition pour les « capitales anciennes évoluées » (France)

Dans son texte précurseur, intitulé « À propos de circulation urbaine », publié dans la revue Urbanisme, en France, en 1951, l’ingénieur et Architecte-Urbaniste Jacques D'Welles propose la création, dans ce qu’il appelle les C.A.E., c’est à dire les «capitales anciennes évoluées», d’une «Société de transport en commun» «dont le but essentiel serait d’offrir au citadin la possibilité de se dégager précisément du moyen de transport en commun classique (par autobus ou chemin de fer) en lui permettant de se servir de voitures individuelles».

C’est que les villes européennes, à l’époque, étaient déjà aux prises «avec le problème de plus en plus inextricable de la circulation». Avec cette proposition, D'Welles devenait le premier à souligner l’intérêt d’instaurer une forme de partage des véhicules, afin d’en diminuer le nombre. Pour justifier sa proposition, D'Welles mettait en relief les problèmes causés par la prolifération de l’automobile :

« [...]. La circulation devient de jour en jour plus difficile » [...]. « À chaque augmentation du parc de 1000 voitures visiteuses, correspond la nécessité de trouver dix kilomètres de trottoirs d’accostage nouveaux »

[...]. Le stationnement est l’obstacle majeur à ce flux. Aujourd’hui, il interdit à la plupart des usagers de l’auto l’avantage primordial attendu de ce moyen de transport : le trajet de porte à porte. On ne sait plus jamais si l’on pourra s’amarrer devant une porte d’entrée déterminée. »

« [...] il faut prendre des mesures draconiennes si l’on veut maintenir tous les avantages qui étaient, il y a vingt ans, ceux de l’usage de l’auto et qui sont grignotés chaque jour » [...] »

D'Welles, dans son article, allait encore plus loin et proposait le développement d’un type de véhicule spécialement conçu pour la circulation en ville. Il devenait ainsi l’un des précurseurs de ce que l’on désignerait plus tard en France par les termes de « voiture banalisée ». Cette voiture de ville, que D'Welles appelait « la citadine », se devait ainsi d’être monoplace, à vitesse limitée, sans klaxon et à propulsion électrique. De plus, « son poids et sa forme auraient dû lui permettre d’accéder à des monte-charge verticaux de faible encombrement desservant des garages en hauteur et en profondeur, publics et privés». D'Welles proposait du même coup que la voiture de tourisme conventionnelle soit reléguée dans de vastes garages situés en périphérie de « la cité », à la naissance des « autostrades », et que sa circulation en ville soit réglementée ».

Le système de transport imaginé par D'Welles aurait fonctionné ainsi :

Un abonné de la société se présente, il monte dans la première «citadine» disponible, son carnet d’abonné est pointé, avec inscription du numéro de la «citadine», de l’heure, du kilométrage, etc.

Il s’en sert à sa guise soit pour faire des courses successives, soit en la gardant en stationnement intérieur (ou extérieur autorisé), soit en faisant des courses simples successives, mais en remisant après chacune d’elles sa voiture à une station-garage de la Société.

Chaque fois qu’il remet sa voiture à une station et qu’il en reprend une nouvelle à une autre, son carnet est pointé avec inscription. À la fin du mois il reçoit sa note de transport, comme sa note de consommation de gaz (D'Welles, 1951).

En 1956, dans la revue des Ingénieurs des ponts et chaussées, une variante de ce système fut proposée par M. Antoine Martin, à l’époque ingénieur en chef des ponts et chaussées (Magnan, 1977). Entre 1955 et 1960, plusieurs auteurs y allèrent de leurs propres suggestions. Vers 1960, un autre système d’un genre analogue fut proposé par MM Viard et Bouffort. « Doté d’un comité de patronage bien choisi, et bénéficiant d’une certaine publicité (notamment un article dans «Match»), ce projet paraissait même voué à un bel avenir ». (Magnan, 1977).

Selon Magnan, (1977), toutes ces contributions créèrent plus de confusion qu’elles n’apportèrent d’aide au système de D'Welles. Un fait demeure, cependant, c’est qu’on en parlait...

La «voiture banalisée» était évidemment loin de faire l’unanimité, en France. Ainsi en 1962, une consultation des Pouvoirs publics, réalisée pour le compte du Conseil Supérieur du Ministère de la construction, mettait en lumière les réticences des fonctionnaires à ce sujet. Parmi les arguments négatifs invoqués, l’un d’eux fut caractéristique du conservatisme entourant cette question : « ...d’ailleurs, si ce système n’a pas encore été réalisé nulle part, il y a bien une raison !... » « Pour ne pas dire un vice ! » (Magnan, 1977).

La proposition de D'Welles (1951), bien que nous ne soyons pas en mesure de lui en attribuer tout le mérite, eut malgré tout des suites non négligeables. C’est le cas, notamment, des projets d’implantation de services de «taxi sans conducteur» dont il sera question plus loin, à Montpellier et à Amsterdam. Ces services constituent des exemples d’applications plus ou moins heureuses de cette proposition.

Des projets encore plus ambitieux ont également été mis sur pied, plus récemment. C’est le cas des projets Matra/Aramis-Paris et du programme Dédale, en France, qui visaient à étudier l’ensemble des problèmes techniques et organisationnels reliés à l’implantation de tels systèmes de transport à grande échelle. Parent et Texier (1992) signalent de nombreuses autres initiatives passées, en cours, ou encore à venir autant aux États-Unis, qu’en Italie ou en Suède. Les «Station Cars» américains, le projet pilote ayant présentement cours dans la ville de Tours et dont il sera question plus loin, le projet Praxitèle (récemment abandonné) et le développement de la «citadine» dénommée « Tulip » par la compagnie Peugeot (Adine, 1995) s’inscrivent tous, également, en droite ligne dans cette lignée d’expériences.

La propriété d’un véhicule encourage son utilisation (Angleterre)

Dans leur article «Restructuring the form of car ownership : A proposed solution to the problem of the motor car in the United Kingdom», Fishmann et Wabe proposaient, en 1969, rien de moins que l’implantation, à Londres, d’une multitude de garages communautaires où auraient été garés des véhicules disponibles à l’ensemble des résidents de la ville. Ces voitures devaient se substituer aux véhicules possédés individuellement par les ménages. Pour Fishmann et Wabe, cette mesure devait permettre aux Londoniens de conserver leur niveau de mobilité tout en y consacrant un minimum de ressources. L’usage des modes de transport autres que l’automobile aurait été priorisé pour circuler dans les zones fortement urbanisées de l’agglomération.

Outre le fait que celle-ci ressemble davantage que la proposition de D'Welles aux services d’auto-partage existant aujourd’hui, l’intérêt de la contribution de Fishmann et Wabe réside surtout dans le fait qu’elle découle d’une analyse économique approfondie de la problématique des transports. Ainsi, selon ces auteurs, le déséquilibre croissant observé dans l’histoire, entre l’usage des services de transport publics et celui de l’automobile, résiderait, pour une bonne part, dans la structure des coûts respective de ces deux biens ou services.

Fishmann et Wabe expliquent que le propriétaire d’une voiture réfléchit, en général, en terme de coût marginal, lorsqu’il a à choisir entre l’usage de sa voiture ou l’usage d’un autre mode (généralement public) pour effectuer un déplacement : dans la plupart des cas, surtout pour de courtes distances, seul le prix de l’essence entre en considération. Ainsi, quand bien même le coût moyen réel (par kilomètre) de l’utilisation de la voiture dépasse généralement le coût du transport en commun, cette réalité est rarement prise en considération par le propriétaire d’une automobile.

D’un côté on tient compte de la totalité des coûts. C’est le cas des modes de transports publics. De l’autre, on ne tient compte que d’une fraction des coûts en faisant généralement abstraction de tous les frais fixes, moins apparents, qui ne sont pas directement imputables à un trajet précis (coût d’achat du véhicule, frais d’immatriculation, assurances, etc.)...

Fishmann et Wabe précisent, par ailleurs, que les automobilistes n’ont pas tort, empiriquement, de raisonner ainsi. En effet, plus on roule avec une voiture, moins elle nous coûte cher par kilomètre. Le propriétaire d’un véhicule a donc intérêt à utiliser sa voiture le plus possible s’il veut amortir les coûts fixes relativement importants reliés à son achat et à son utilisation.

En termes économiques on peut résumer ainsi la situation : comme le coût marginal est inférieur au coût moyen, chaque kilomètre additionnel parcouru contribue à faire diminuer le coût moyen d’utilisation du véhicule. Dans cette optique, la logique économique qui découle du comportement des consommateurs est implacable et la politique du laisser faire ne peut que tendre à perpétuer et accroître l’état de dépendance des sociétés modernes envers le transport privé.

Pour Fishmann et Wabe il importait donc , autant que possible, de dissocier l’utilisation de l’automobile de son caractère privé. La «voiture partagée» était présentée comme un bon moyen pour changer la structure des coûts associés à l’usage de l’automobile. En favorisant le développement d’un service qui éliminerait la nécessité d’être propriétaire d’un véhicule pour en avoir l’usage, on pourrait appliquer, sur une grande échelle, une formule de tarification des véhicules individuels reflétant leurs coûts moyens d’utilisation (le coût de la location) plutôt que le coût marginal. De cette façon on éliminerait, sans pénaliser le consommateur, un biais important qui influe sur le choix modal de la population, et empêche les forces du marché de mener à une utilisation optimale des ressources. Au risque de simplifier à outrance, on pourrait résumer ainsi la pensée de ces chercheurs : «la propriété d’un véhicule encourage son utilisation». Cette maxime allait d’ailleurs s’imposer plus tard au point de constituer aujourd’hui l’une des clés de la raison d’être du mouvement de l’auto-partage à travers le monde.

Bien que d’autres chercheurs britanniques se soient également intéressés à la question, à la même époque (Reports of the Steering Group and Working Group appointed by the Minister of Transport, 1967; Lewis, C. Beaumont, 1974), la proposition de Fishmann et Wabe est restée lettre morte en Angleterre, du moins en terme de réalisation concrète. Le grand mérite de ces auteurs reste donc, avec le recul, d’avoir été les premiers à exprimer publiquement les bases théoriques du potentiel que représentait la voiture partagée, pour s’attaquer au problème des transports en milieu urbain.

Mini-véhicules pour grand projet (États-Unis)

Le projet « Minicar Transit System » qui a été mis en branle à partir de 1967, constitue encore, à ce jour, l’effort concerté le plus important et le plus ambitieux jamais réalisé dans le but d’évaluer la pertinence et la faisabilité d’implanter un service de partage de véhicules à grande échelle dans une agglomération importante, ici Philadelphie. Ce travail mettait à contribution les ressources du gouvernement et de l’industrie. Il avait été financé à l’aide d’une subvention de 300 000 $ provenant de la Urban Mass Transportation Administration (UMTA). L’Université de Pennsylvanie agissait à titre de maître d’oeuvre. Même la compagnie General Motor prenait part au projet au point d’en constituer l’un des plus importants partenaires (University of Pennsylvania, 1970).

La démarche avait été planifiée comme un effort interdisciplinaire de recherche. L’objectif était de concevoir un service permettant de substituer à la voiture privée un système de location de voitures de petites dimensions, disponibles en libre-service. Ce service devait être en mesure de procurer à la population une mobilité à moindre coût, autant pour l’individu que pour la collectivité (Friedman, 1969). Il devait également être capable de s’autofinancer.

Le travail s’est déroulé sur une période de 3 ans, entre 1967 et 1970. Un prototype de véhicule spécialement adapté à cette fin a même été développé. À la base, il s’agissait d’une Opel Kadett modifiée (Friedman, 1969). Le véhicule en question était de type hybride : il était doté d’un moteur électrique et d’un moteur fonctionnant à l’essence (rappelons que tout ceci se déroulait à la fin des années 60...). D’abord conçu pour la circulation en ville, les dimensions du véhicule avaient également été réduites afin d’en minimiser l’encombrement. D’allure plutôt contemporaine, si on le compare aux véhicules d’aujourd’hui, le «Minicar» avait une longueur de 9 pieds (environ 2,74 m). Ceci correspondait à environ la moitié de la longueur des véhicules généralement vendus à l’époque. Il était haut de 59 pouces (1,5 m). Sa largeur, qui était de 78 pouces (environ 2 m), restait comparable aux automobiles standard. Le véhicule pouvait transporter trois passagers et pesait environ 3500 livres (environ 1587 kg) (University of Pennsylvania, 1970).

Ces véhicules devaient être garés dans des stations appelées «terminaux», chaque terminal contenant une trentaine de voitures (Friedman, 1969). Tout le centre-ville de Philadelphie devait être desservi par ces «terminaux» et aucun point du centre ne devait se trouver à plus de 500 pieds (environ 150 m) du plus proche terminal (Friedman, 1969). Il était prévu que le système de facturation des véhicules soit automatisé. Les usagers du service auraient été dotés d’une carte personnelle codifiée pouvant être lue par un lecteur localisé dans le «terminal» ou installé dans les véhicules. Cette carte aurait permis d’identifier le conducteur du véhicule et, ce faisant, rendu possible la compilation automatique des données nécessaires pour facturer le service aux usagers, une fois par mois.

Deux grilles tarifaires visant des clientèles distinctes ont été élaborées. La première, destinée à combler les besoins des banlieusards utilisant un véhicule pour se rendre à leur travail, consistait en un tarif mensuel fixe. La seconde consistait à facturer les déplacements à l’unité en tenant compte du temps d’utilisation du véhicule et du nombre de kilomètres parcourus.

À la suite d’une multitude de sondages et d’analyses qui ont abordé autant les questions techniques que les questions économiques, sociales ou politiques associées à la mise sur pied de ce système de transport, les conclusions de l’étude conduite par l’Université de Pennsylvanie (celle-ci incluait une étude de faisabilité) furent les suivantes :

  1. Il est possible de développer un véhicule sécuritaire et peu polluant, pleine largeur mais dont la longueur serait de la moitié de celle des voitures de tourisme conventionnelles, conçu pour un usage de flotte en conduite urbaine et périurbaine.
  2. Avec une stimulation et un contrôle approprié du gouvernement, il serait possible d’introduire dans le centre de Philadelphie, entre 1972 et 1982, et ce sur une base commerciale, une flotte d’environ 26 000 « Minicars » répartis dans 100 à 300 « terminaux » (à terme, le service devait desservir environ 500 000 personnes).
  3. Ce service permettrait :
    1. D’accroître le volume de circulation et la fluidité dans les zones les plus congestionnées de 25 % à 75 %.
    2. De diminuer le niveau local de pollution de l’heure de pointe de 40 % à 60 %.
    3. D’éliminer le besoin d’un investissement potentiel de 400 à 700 millions de dollars en infrastructures de stationnement (valeur en dollars américains non actualisée).
    4. De réduire le coût des trajets pendulaires journaliers des banlieusards de 40 % à 50 %.
    5. De promouvoir l’usage du métro, du train, des autobus urbains et suburbains en reliant d’une manière pratique les terminaux des «minicars» avec les réseaux de transports publics conventionnels existants.
    6. D’éliminer en grande partie le besoin ressenti par les ménages habitant en ville de faire l’acquisition d’un véhicule personnel.
    7. De rendre l’automobile plus accessible aux ménages à faibles revenus, à un prix inférieur à celui du taxi et légèrement supérieur à celui du métro ou de l’autobus.
    8. De générer des profits appréciables pour le gestionnaire du service.
    9. D’attirer plus de consommateurs vers la ville centre grâce aux vertus d’une amélioration de la qualité de l’air, un environnement plus calme et moins congestionné et grâce au développement d’un système de transport plus efficace.

Selon les auteurs de l’étude, plusieurs modes de gestion étaient envisageables pour opérer un tel service : il aurait pu s’agir, par exemple, « d’un service public classique géré par les pouvoirs publics, d’un service public géré par le privé mais réglementé, ou d’un service privé non réglementé » (University of Pennsylvania, 1968). La recommandation des auteurs du rapport, à cet égard, était de profiter au maximum des avantages du secteur privé, tout en suggérant à l’État d’élaborer les incitatifs nécessaires pour que le service atteigne son développement optimal.

Une intervention minimale des pouvoirs publics était jugée nécessaire, cependant, car à défaut de ce faire on craignait qu’un service totalement abandonné au secteur privé soit maintenu à un niveau de développement socialement sous-optimal. Il avait été estimé, en effet, que le retour sur l’investissement maximal, par unité de capital investi, aurait été atteint, à Philadelphie, avec une flotte comptant entre 3000 à 5000 « Minicars », alors que les besoins estimés par les chercheurs pour maximiser les avantages du système pour la collectivité nécessitaient plutôt la mise en service d’une flotte d’environ 26 000 véhicules (University of Pennsylvania, 1968).

Malgré l’intérêt de ses conclusions et la pertinence de ses recommandations, le projet « Minicar Transit System » a été interrompu, soudainement, en 1969. Nous n’avons pu déterminer pourquoi l’UMTA, qui en constituait le principal bailleur de fonds, s’est retiré du projet. Cette situation a cependant fait en sorte que des pans entiers du travail planifié n’ont pu être complétés. C’est le cas, notamment, du projet-pilote initialement prévu, et qui a dû être annulé (University of Pennsylvania, 1970). Cette étude reste malgré tout d’un grand intérêt encore aujourd’hui, ne serait-ce que pour le caractère non équivoque des conclusions auxquelles sont arrivées les chercheurs qui y ont participé.

Autre fait notoire : ce projet était loin de constituer une initiative isolée. En effet, les expériences-pilotes réalisées en France et en Hollande, l’ont été à peu près à la même époque. Au Japon, également, la compagnie Toyota s’intéressait, elle aussi, à la «voiture partagée» (Oka, 1973). Ainsi, au début des années 70, la possibilité de développer un système de transport reposant sur une formule de voiture à usage public constituait une idée à la mode dans les milieux spécialisés. Suffisamment, du moins, pour amener les autorités compétentes à subventionner la recherche dans ce domaine, et ce dans plusieurs pays.

En guise de conclusion sur le projet «Minicar», on se doit de souligner les similitudes entre la proposition des chercheurs de l’Université de Pennsylvanie et celle de Fishmann et Wabe (1969). La formule préconisée reprenait également des éléments de la proposition de D'Welles (1951), notamment en ce qui concerne la conception d’un véhicule dit «banalisé», adapté pour circuler en ville. Contrairement aux projets de Montpellier et d’Amsterdam dont il sera maintenant question, et qui furent les premiers exemples de mise en opération de tels systèmes, le concept de «voitures partagées» élaboré par les chercheurs américains ne visait pas qu’à desservir le centre-ville. Il était même prévu, dans le cadre de ce projet, que les bénéfices tirés de la facturation à l’unité des trajets effectués par les citadins servent à subventionner les pertes associées au tarif fixe accordé aux banlieusards; ceux-ci effectuant surtout des déplacements de type pendulaire (University of Pennsylvania, 1970). Autre différence, le service élaboré ici visait véritablement à offrir une alternative à la propriété d’un véhicule. On entrevoyait même la possibilité de combiner les avantages de ce système avec les services de location à court terme conventionnels existants (University of Pennsylvania, 1968). Ceci afin de permettre l’accès à d’autres types de véhicules, au besoin. Or, on sait que ce type de partenariat constitue ni plus ni moins la norme aujourd’hui...

Nulle part, cependant, dans les plans de mise en oeuvre du projet « Minicar », il n’était question de mettre sur pied un service pour réserver les véhicules. Il s’agissait d’un système en libre-service dans le plein sens du terme. On préférait miser, à la place, sur un dispositif de contrôle destiné à permettre la redistribution des véhicules aux endroits où la demande l’aurait nécessité. Il était prévu, également, que les usagers du service puissent remettre le véhicule emprunté à n’importe laquelle des stations du réseau. On sait aujourd’hui que ces choix se sont révélés, jusqu’ici, trop onéreux pour être viables, sur le plan économique. Sans en être la copie conforme, donc, le projet « Minicar » innovait cependant à plus d’un titre et fournissait, avant la lettre, une esquisse des plus fidèles des services d’auto-partage qui allaient se multiplier dans le monde, à partir de la fin des années 80.

...à suivre

Bibliographie

  1. StadtteilAUTO e.V Aachen, 1992. Handbuch für AutoTeiler. Ökofunds der Grünen NRW. 72 p. (une traduction en anglais du document est disponible).

  2. d'Welles, Jacques, 1951. « À; propos de circulation urbaine... ». Urbanisme, vol. 20, no. 11-12, p. 56. ·

  3. Magnan, René, 1977. Système urbain de transports individuels banalisés. Centre de recherche d'urbanisme, Editeur 4, Paris, 134 p. ·

  4. M.; Texier, P.-Y., 1992. De la Voiture Publique au PRT Le Programme DEDALE. Communication présentée dans le cadre de la journée spéciale de l’INRETS sur le transport urbain public individuel tenue à; Paris le 8 déc. 1992, 12 p. ·

  5. Fishman, Leslie and Wabe, J. Stuart, 1969. "Restructuring the form of car ownership: A proposed solution to the problem of the motor car in the United Kingdom". Transportation Research, vol. 3, no. 4, pp. 429-442. ·

  6. Reports of the Steering Group and Working Group appointed by the Minister of Transport, 1967. "Car for Cities - A study of trends in the design of vehicles with particular reference to their use in towns". Reports of the Steering Group and Working Group appointed by the Minister of Transport Appendix B. ·

  7. University of Pennsylvania, 1970. Minicar Transit System : Final Report. Philadelphia, Pa. : University of Pennsylvania Center for Urban Research and Experimentation.

  8. Friedman, D., 1969. Public vehicle rental system: Determination of feasibility. Tiré de “Selected Proceedings of a Conference on Methods and Concepts of Forecasting Travel Demand for Future Systems”, Philadelphia, Pa. : University of Pennsylvania Transportation Studies Center, Avril 1972, pp. 49-74. ·

  9. Oka, N., 1973. "Public-Use Private Transport". The Wheel Extended 2, no. 4, pp. 17-19. ·

  10. University of Pennsylvania, 1968. Minicar Transit System : Final Report on Phase I “Feasibility Study” Book -I- Summary. by University of Pennsylvania to Urban Mass Transportation Administration, U.S. Department of Transportation, Contract PA-MTD- 8. 35 p. ·

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